Tous ceux qui s’intéressent de près au litige relatif à la prise en charge du loyer covid, à savoir le loyer ayant couru pendant les périodes de fermetures des locaux commerciaux pour tenter d’endiguer l’épidémie de covid 19, se souviennent qu’à partir du moment où les juridictions ont commencé à statuer, ce litige a donné lieu à la tenue d’une comptabilité minutieuse des décisions rendues en faveur de chaque camp, comme autant de batailles gagnées par les bailleurs et les preneurs.
Les greffes des juridictions de France et de Navarre étaient scrutés, leurs décisions répertoriées dans de grands tableaux Excel bicolores car binaires, avant d’être publiés sur les réseaux sociaux.
Depuis, la Cour de cassation semble avoir sonné l’hallali du litige opposant bailleurs et locataires au sujet de la prise en charge du loyer covid, en jugeant, communiqué de presse et tambours à l’appui, par trois arrêts rendus le 30 juin 2022, réaffirmés depuis, que les loyers covid sont dus (Cass. 3ème civ., 30 juin 2022, nos 21-20.127, 21-20.190 et 21-19.889, confirmés par Cass. 3ème civ., 23 nov. 2022, n° 21-21.867 et n°22-12.753).
Même si la responsabilité en incombe avant tout aux plaideurs, il est regrettable que cette mise au point de la Cour de cassation constitue le point d’orgue du traitement manichéen du litige par les juridictions, auxquelles il était demandé si le poids du loyer covid incombe intégralement au locataire ou au bailleur, uniquement à l’un ou à l’autre. Il aurait été certainement préférable que preneur et bailleur partagent la charge que représente pour le premier le loyer covid sans possibilité d’exploiter les locaux loués et pour le second son absence sèche de perception.
A l’instar de certaines aides étatiques, l’annulation du loyer covid aurait ainsi probablement pu être partielle et soumise à des critères objectifs, pragmatiques et contrôlés par les juges du fond : allègement proportionnel à la baisse du chiffre d’affaires ou du résultat net / de l’excèdent brut d’exploitation (EBE) réalisé au titre de la période de fermeture, absence d’allègement du loyer des fonds déjà déficitaires avant l’épidémie, durée de la fermetures, situation des locaux loués (ex : dans un centre commercial lui-même fermé au public), etc.
Ce sont précisément de tels critères qui, associés au caractère exceptionnel et imprévisible de la situation, mais également à la conscience des bailleurs et locataires d’être liés par un contrat ayant vocation à durer très longtemps, qui les ont fort heureusement conduits à négocier de bonne foi un écrasement partiel du loyer covid dans de nombreux cas.
Toujours est-il que certains preneurs se sont relevés de la triple claque reçue du 30 juin 2022, en continuant à collecter des décisions dans lesquelles ils voyaient des marques de résistance des juges du fond pouvant constituer une contre-offensive qui aurait au moins pour objet de nuancer la solution retenue par la Cour de cassation en faveur des bailleurs, voire éventuellement de la faire fléchir.
Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg le 28 février 2023 fait partie des décisions collectées par les pro-preneurs, mais à notre sens, il ne doit pas être considéré comme une désobéissance à Haute juridiction. L’intérêt de cette décision pour les preneurs est ailleurs et notamment en ce qu’elle est une illustration de la bonne foi nécessaire entre les parties.
Aux termes de ce jugement, le Tribunal judiciaire de Strasbourg juge que le fait pour un bailleur de ne pas avoir réagi à l’absence de paiement par son locataire du loyer covid pendant trois mois (avril, mai et juin 2020) prouve l’existence d’un accord oral entre les parties relatif à l’abandon desdits loyers. Les juges du fond alsaciens retiennent que la société bailleresse a rompu cet accord et la condamne à rembourser le loyer ayant couru pendant ces trois mois (45.000 €), que sa locataire avait finalement été contrainte de lui régler sous la menace d’un commandement de payer visant la clause résolutoire.
La juridiction alsacienne répond favorablement à la question qui lui était posée, à savoir si le défaut de réaction du bailleur à la suite de l’absence de paiement du loyer covid était constitutif d’un accord faisant ultérieurement obstacle à sa revendication.
L’apport de cette décision pour les preneurs ne concerne donc pas la répartition de la charge du loyer covid, mais l’impossibilité pour un bailleur de remettre en cause un accord trouvé avec son preneur relatif à l’annulation partielle ou totale du loyer covid.
Cette décision prive le bailleur d’invoquer la jurisprudence de la Cour de cassation pour remettre a posteriori en cause un accord conclu avec son preneur portant sur l’annulation du loyer covid.
La juridiction strasbourgeoise affirme que cette solution vaut en présence d’un simple accord oral, découlant d’un défaut de réaction du bailleur à l’absence de paiement par le locataire du loyer covid.
Le caractère remarquable de l’épidémie de covid-19 justifie une appréciation souple de l’accord trouvé entre bailleur et locataire.
L’impossibilité pour le bailleur de remettre en cause un accord oral d’annulation du loyer covid peut être revendiquée a fortiori par un locataire pouvant justifier davantage d’un accord écrit, et selon les cas découler d’un échange de lettres officielles, d’un simple échange de mails avec son bailleur, d’une mention portée sur une facture de loyer ou d’un avoir établi par son bailleur.
Par conséquent, si la Cour de cassation affirme que le loyer covid-19 est dû par les preneurs, les Juges du fonds ont commencé à juger qu’ils n’auront pas à rembourser les loyers écrasés aux termes d’accords, même simplement oraux.